J’ai honte ! J’ai honte de ce qui se passe dans notre pays et de l’oubli de la magistrale leçon de tolérance donnée par Voltaire lorsqu’il prit, contre le pouvoir royal de Louis XV, la défense de la famille Calas. Rappelons que le père Calas, protestant de religion, fut soupçonné d’avoir assassiné son propre fils qui, paraît-il, voulait se reconvertir au christianisme. Ajoutons que la condamnation au supplice de la roue fut prononcée en acceptant des demis, voire des quarts de preuves, autant dire des ragots de voisinage. Calas nia le crime jusqu’au bout du martyre. « Nous osons croire, à l’honneur du siècle où nous vivons, qu’il n’y a point dans toute l’Europe un seul homme éclairé qui ne regarde la tolérance comme un droit de justice, un devoir prescrit par l’humanité, la conscience, la religion ; une loi nécessaire à la paix et à la prospérité des États. » Ainsi commence l’avertissement des éditeurs de Kehl en tête du traité sur la tolérance.
J’ai honte ! J’ai honte de l’oubli que notre pays a des mots de Victor Hugo : « Ce commencement de fraternité qui s’appelle la tolérance. » Car notre grand poète s’est battu toute sa vie pour que chacun respecte et tolère « l’autre », quel qu’il soit ! N’est-ce pas l’un des sens des Misérables que de dénoncer l’exploitation des miséreux et l’irrespect associé ? N’est-ce pas tout l’esprit de son discours de réception à l’Académie française lorsqu’il fustige la censure que l’Empire a infligé à son prédécesseur le dramaturge Lemercier ?
J’ai honte ! J’ai honte de l’amnésie générale qui nous fait négliger le « J’accuse » de Zola qui lui vaudra tant d’attaques intellectuelles ou physiques, tant de satires, tant de diffamations, tant de procès, tant de mises au banc de la société, jusqu’à la suspension de sa Légion d’honneur, et sans doute son probable assassinat maquillé en accident. Car ce sont la justice et la tolérance qui sont au cœur de la pensée de Zola lorsqu’il rédige ce papier. Acceptons les idées, les religions différentes sans anathèmes. L’auteur des Rougon Macquart écrit : « Au cours des siècles, l’histoire des peuples n’est qu’une leçon de mutuelle tolérance. » Anatole France, lors des obsèques de l’écrivain, déclare : « Zola fut un moment de la conscience humaine. »
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Alors, comment ne pas avoir honte de cette campagne électorale durant laquelle l’un des arguments principaux, répété à l’envi, était d’exclure de notre France des hommes et des femmes de civilisation autre, de coutumes diverses, de religions distinctes ?
Montrer du doigt un groupe, une ethnie, les membres d’une église différente ! Hannah Arendt, dans « les origines du totalitarisme », décrit chaque étape de la mise en place des régimes totalitaires. La désignation d’une communauté, par laquelle tous les malheurs arrivent, en est un des piliers. Et pour ceux qui pensent que nous sommes à l’abri de semblables dérives dans une démocratie comme la nôtre, alors, nous les invitons à regarder le film de Denis Gancel « la vague ». Tiré d’un roman américain de Todd Strasser, écrit à partir d’une histoire véritable qui s’est déroulée en 1967. La vague pose le problème de l’adhésion à des idées pouvant devenir rapidement dangereuses. Lors d’une expérience menée par un professeur d’histoire avec ses élèves, il ne faut pas plus d’une semaine pour que les lycéens américains mettent en place un régime « totalitaire » dans leur école ! Une semaine ! Remarquablement court et efficace ! Mais comment se débarrasser, par la suite, d’un tel régime qui n’accepte plus la contradiction et qui gouverne par la peur ? Comment y mettre fin, hormis par la violence ?
Comment ne pas avoir honte de cette idée d’inscrire dans notre Constitution un projet de loi sur l’immigration ? Et un autre, qui deviendrait tout aussi constitutionnel, sur la priorité nationale ? Comment ne pas avoir honte de cette volonté de publier ces textes et qui plus est dans le texte fondamental de notre démocratie, après ce préambule pourtant fort explicite : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale ». Et au cas où certains n’auraient pas compris, l’article 1er explique : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
Bien sûr, c’est le choix respectable des électeurs qui a fait entrer à l’Assemblée nationale nombre des soutiens à ces propositions de textes indignes. Mais ces électeurs savent-ils combien notre histoire a été embuée par les régimes totalitaires intérieurs ou extérieurs ? Se souviennent-ils des affres subies par leurs grands-parents et arrière-grands-parents ? Sans doute, non, car c’est désormais de l’histoire. Ont-ils la mémoire de la rafle du Vel’d’hiv ? Des convois vers les camps de concentration ? Des exterminations dans les chambres à gaz ? Sans doute, non, car c’est désormais du passé !
Plus proche de nous se souviennent-ils de la guerre de « libération » du Cambodge mené par Pol Pot, libération qui s’acheva dans l’horreur de la prison S21. À Phnom Penh aussi, il était impossible que cela arrive ! Et pourtant ! Invitons les sceptiques à regarder le film S21 de Rithy Panh. Ou encore, du même metteur en scène, le film Doug, qui montre l’un des tortionnaires de ce lugubre endroit qui vit disparaître 17 000 personnes, face à l’un des sept survivants au moment de la libération des lieux. Une confrontation sévère, bourreaux — victimes, descente aux enfers pour tous. Car les bourreaux n’étaient pas nés pour tuer, mais ils y ont été conduits « par le mélange toxique de l’ignorance, d’une idéologie meurtrière, du pouvoir absolu, et de la terreur permanente. »
Et se laisser guider par des croyances incertaines, n’est-ce pas dangereux ? Adhérer à celles proférées par Donald Trump sur les élections truquées, alors que l’ancien président n’a jamais pu apporter la moindre preuve factuelle, est un crime envers la vérité. Soixante et une plaintes pour fraude électorale déposées dans soixante et un tribunaux, une seule retenue, classée sans suite ! Un million de dollars est offert par Dan Patrick, lieutenant gouverneur du Texas, à qui apportera la preuve d’une fraude ! Personne n’a réclamé le million de dollars ! Tout cela pour entraîner ses partisans à prendre le Capitole, tout en les incitant à pendre Mike Pence afin d’éviter la publication des résultats.
Impensable ! Les États-Unis ne pouvaient être la victime d’un coup d’État ! Et pourtant… les conclusions le la commission d’enquête du Sénat sont sans appel : la prise du Capitole est le « point culminant d’une tentative de coup d’État » pour l’instauration d’un régime qui n’aurait pas été élu.
Alors, ne soyons pas naïfs et pensons à notre passé, à notre histoire avant de suivre aveuglément n’importe quel chantre du bonheur promis en échange de la disparition d’une ethnie ou d’une religion La disparition d’autres hommes !
Alors, ne soyons pas stupides au point de croire n’importe quel gogo nous assenant des vérités non vérifiées. Pensons à Bethold Brecht : « Qui ne connaît la vérité n’est qu’un imbécile. Mais qui, la connaissant, la nomme mensonge, celui-là est un criminel !«