Voyager seul ou des inconvénients de la pétulance odoriférante du voisinage
Lorsque l’on voyage seul en avion, la question se pose immanquablement de savoir si l’on va voyager sans voisin ou bien quel, il va être. Alors, en arrivant dans la salle d’embarquement, les yeux se tournent vers les voyageurs (geuses) et cherchent à deviner quel fessier viendra se poser à côté du vôtre.
Peut-être cette jeune créole portant guitare sur le dos, si menue et au corsage si transparent que j’ai l’impression de voir les cordes de l’instrument au travers ? Ou alors cette petite indienne qui ne devrait pas tenir plus d’un tiers du siège ! Ce qui me laisserait davantage de place ? Pourquoi pas cette grande femme noire dont les jambes immenses semblent fuir un minuscule short pour descendre se réfugier dans des bottes avant de toucher le sol ? Peu de chance que ce soit la ravissante japonaise au sourire épanoui mais accompagnée d’un sumotori !
Siège « 19 J ». Je m’installe et je surveille le couloir. Jusqu’au dernier moment personne ! Puis arrive un géant noir. Au bas mot un mètre quatre-vingt-dix, athlétique, costard- cravate de bonne facture. Un cadre sup’ à la carrure de quaterback ! Pas lui ! J’en veux pas !
Je détourne le regard en m’intéressant au chargement des bagages à l’extérieur de l’avion. Je devine un « How are you? » Je grommelle un « Fine. Thank. And you ? ” Il se lance dans une phrase de dix mètres de long dont je ne comprends pas un traitre mot, non que mon anglais ne soit pas bon mais parce qu’il chewingomise chaque mot avec avidité, rapidité et désinvolture. Je décourage toute nouvelle conversation par un « sorry but my English is very bad » qui le laisse absolument pantois.
« 19 H » s’installe en faisant trembler deux ou trois rangées de sièges. Ses épaules ont bien du mal à rester dans les limites du dossier. Je me plonge dans mon bouquin. Décollage. Une demi-heure plus tard, nous nous stabilisons au niveau 400. (40 000 pieds, pour les incultes ! ) Mon voisin se tortille de plus en plus sur son siège passant d’une fesse sur l’autre avec application. Je me dis que s’il gigote comme ça tout le voyage, ça risque d’être pénible. D’autant que mon siège subit un véritable tremblement de terre à chaque agitation.
Je comprends rapidement que le vol risque d’être beaucoup plus difficile encore que ce que je pensais. Ce géant doit avoir des intestins de longueur infinie ! Les différences de pression entre l’intérieur du bonhomme et l’extérieur, la cabine doit « voler » aux environs de 3 000 mètres, donne nettement l’avantage aux pressions internes ! L’atmosphère s’en ressent immédiatement ! L’avantage de laisser les pressions s’équilibrer c’est que mon quaterback ne bouge plus pendant une dizaine de minutes. Mais, les allers et retours d’une fesse sur l’autre reprennent rapidement avant un nouveau soulagement qui ne sera que de courte durée, je le comprends vite.
On ne s’habitue jamais à ce genre de choses d’autant que les hôtesses nous servent à boire. « would either of you like a drink before dinner ?” Avec mon plus pur accent oxfordien, mon plus beau sourire, et ce, malgré sa dentition chevaline et son âge avancé, je lui demande une bière en soignant mon accent : “I would like a bier”, please. ” Je m’étonne de la voir hésiter. Elle disparait dans la coursive et revient avec un demi-litre de lait. Vraiment bouchée, cette hôtesse ! Mais pas mon voisin ! qui poursuit méthodiquement l’équilibrage des pressions !
Après le repas durant lequel je manque être malade trois fois tant les mélanges d’odeurs me soulèvent le cœur, je cherche à m’endormir pour oublier le cloaque dans lequel je suis. Mais, difficile de dormir lorsque toutes les dix minutes des effluves vous font quitter le doux rêve des retrouvailles avec votre épouse pour vous replonger dans la thermodynamique des boyaux !
Allez savoir pourquoi je pense à une tempête au bord de mer ? Allez savoir pourquoi je me dis que dans une tempête au bord de mer, ce n’est pas le vent qui est le plus agressif, mais que ce sont les embruns ! Et de pouffer de rire en imaginant l’état du beau costume du monsieur si par hasard, le vent charriait aussi des embruns ! Je ne parviens plus à m’arrêter de rire ! J’ai beau faire semblant de dormir, je pouffe sans arrêt ! Quelle image dans ma tête ! Chaque nouvelle vague tempétueuse déclenche chez moi une hilarité que je dissimule dans le coussin bloqué contre le hublot. Ah ! Si au moins je pouvais l’entrouvrir celui-là pour respirer un peu d’air frais !
La somnolence qui a fini par m’emporter loin de ma cabine d’avion m’a fait traverser la baie d’Hudson, la mer de Baffin, le Groenland et l’Atlantique sans souffrir de l’appétence de mon voisin pour la libération sournoise des gaz à effet de serre.
Lorsque le commandant annonça la descente sur Roissy, j’ai senti (c’est le mot juste) combien j’allais être libéré du poids du voisinage. Mais, auparavant, était-ce la joie de découvrir Paris du haut de nos 2 000 mètres, mon athlète a semblé vouloir fêter l’atterrissage proche par un feu d’artifice proprement indescriptible. Une seule chose me vint à l’esprit tant la palette des couleurs fut dense, tant la mélodie fut variée : l’alléluia du Messie de Haendel.
Alléluia ! Alléluia ! Allééééééluiaaaaa… ! C’est fou la contenance d’un quaterback ! Alléluia ! Nous sommes à 1 500 mètres au-dessus de la Défense : Alléluia ! 1 000 mètres au Stade de France : Alléluia ! 500 mètres par le travers des pistes du Bourget : Alléluia ! Posé, on roule vers le terminal : Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! Vingt minutes de roulage : Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! Allééééééluiaaaaa… !
Enfin les couloirs infinis du terminal de Roissy et la liberté de respirer l’air que l’on veut ! Tout en marchant, je me dis que fort heureusement plus personne ne fume dans les avions, nous aurions pu exploser en vol ! Et puis, je pense également à la convention de Genève sur l’utilisation des gaz de combat qui, à mon sens, n’est pas assez sévère avec les gaz naturels. Faut que je leur écrive !
Tapis roulant. Mon sac arrive, je me baisse pour le prendre et là, je suis suffoqué (c’est le mot juste) de reconnaître une fragrance connue. Je me redresse, me retourne « 19 H » est à côté de moi !
Au secours ! Il me poursuit !